Débuts du cinéma-spectacle, matrice des médias de masse ?

Débuts du cinéma-spectacle, matrice des médias de masse ?

Brin d’idées muries après visionnage d’un documentaire sur l’Histoire de l’Amérique, vue à travers le Cinéma et ses débuts..

Echo en ce début du XXIème siècle, à ce début du XXème siècle qui vit l’essor de la photographie et du cinéma d’où sortira le monde médiatique d’aujourd’hui : généralisation des écrans, addiction du public, trust des imaginaires et manipulation des esprits. Et si tout était déjà en germe dans les premiers pas du cinéma à gros succès?

Marcel Gauchet dans sa trilogie sur la démocratie regardait la première guerre mondiale comme la matrice du XXème siècle et de ses guerres. Enrôlement forcé des populations, mécanisation et planification à outrance de la production, application et utilisation cynique des forces en action…

Translation. Pouvons-nous regarder les débuts du cinéma, sis à la même époque, comme la matrice de ce que deviendront les médias de nos jours ? Piques sur “Naissance d’une Nation” de Samuel Griffith, sorti en 1915, soit deux ans avant l’entrée en guerre des Etats-Unis sur le sol européen (1917), intervention militaire, politique et économique qui mettra fin à la guerre et imposera les Etats-Unis comme puissance montante qui changera la face du monde.

Du poids du cinéma en particulier et des médias en général dans la formation des représentations collectives. D’autant plus fort que ces arts créent des fictions historiques qui flattent l’orgueil des peuples et des nations, en ne faisant qu’agiter des bouts de chiffons.

Début du XXème siècle, USA. La naissance du cinéma coïncide avec la naissance du nationalisme américain et l’essor de la bannière étoilée comme emblème. “Melting pot, waving flag”. L’Amérique a eu besoin et à utilisé le cinéma pour se construire en produisant des images simples auxquelles tout individu quelque soit son origine pouvait croire. Et qu’est ce que le film sinon un voile qui vacille dans l’espace tel un drapeau ? De voile à drapeau n’y a t-il pas que des marques de reconnaissance qui signent, comme le marquage au fer rouge des bestiaux, l’appartenance à un troupeau ? Le cinéma, faisceau de lumière, a précédé la naissance des fascismes. Le film, vaisseau de poussières, bande de nitrate hyper-inflammable, portait-il dans sa matière l’annonce des ravages de toutes les guerres à venir ? Il a gagné le grand public et continue de le faire, en représentant la violence “sublimée” à l’écran. Retour sur la naissance d’un art qui nous prend enfant.

La première superproduction hollywoodienne qui est aussi considérée comme le premier “grand film américain”, est “Naissance d’une Nation” de Samuel Griffith (1915). Le film rapporta près de 50 millions de dollars. Il fut un immense succès et l’objet d’une controverse dès sa sortie, avant d’être interdit dans plusieurs villes américaines pour promulgation du racisme et du Ku-Klux-Klan (qui resurgit à l’époque porté par le succès du film qui glorifia le monde sudiste). Il faudra attendre Autant en emporte le vent, sorti en 1939, pour le détrôner au box office. 2 ans tout juste avant Pearlharbor (1941) qui signa l’entrée des Etats-Unis dans la deuxième guerre mondiale soit dit en passant, comme Naissance d’une Nation (1915) précéda de 2 ans l’entrée en guerre des USA dans la première (1917).

Coïncidence ? Les deux films prennent pied et font vivre à l’écran, le même monde, le monde sudiste qui porte les plaies de l’esclavage et de la guerre de sécession dans l’Histoire nord-américaine. L’un plutôt porté sur le Thanatos, l’autre sur l’Eros. Phénomène de purge collective avant réunification pour montrer au front ? Le cinéma, exutoire des passions et forge des émotions. Force de manipulation.

Rebond. Devrions nous envisager que la prochaine fois qu’un “grand film américain” sur le Sud des Etats-Unis esclavagiste fait un carton dans ce pays jusqu’à réunir la “Nation”, nous serons à 2 ans de voir les américains entrer de plein pied dans la troisième guerre mondiale ? Clin d’œil à Ere de volcan écrit précédemment qui mettait en boite nos grosses têtes politico-médiatiques qui n’ont pas vu venir la guerre d’Ukraine ni le déclin économique. Si cette boutade se vérifie, plus besoin d’analyses d’experts pour pronostiquer la prochaine guerre, le BOX OFFICE US suffira pour la peine. Quelle magie porte donc l’image d’un film ?

Savante maitrise des plans, de l’éclairage et du montage, Naissance d’une Nation continue d’être étudié commenté et reconnu surtout pour la puissance de sa narration. Il deviendra la matrice de tous les films à grand spectacle et celle de toute l’industrie cinématographique qui n’aura de cesse de chercher la potion magique du succès, avec en toile fond la poétique d’Aristote et la Caverne de Platon. Aujourd’hui Hollywood maitrise le processus d’écriture d’un film jusqu’à confier à l’IA qu’elle a programmée, le premier jet d’ecriture de ses productions, reléguant les scénaristes créateurs de mondes et de personnages, au rôle de correcteurs et co-signataires. Verdict de la récente grève menée par le puissant syndicat des scénaristes. Narration depiuis ses débuts à Hollywood, narratif aujourd’hui partout dans le médiatique. Scène et spectacle dans les deux cas. Et la guerre toujours en vedette avec strass et fracas.

Naissance d’une Nation par narration donc. Création d’une fiction. Recréation de l’Histoire. Construction d’un récit pour justifier et anoblir les crimes de guerre qui ont engendrés la Nation dans le sang avec l’esclavage et la guerre de sécession. Création d’un sentiment d’Unité Nationale en jouant des émotions que soulèvent le spectacle grand format mu par une trame scénaristique calquée sur le modèle grec antique. Création d’un mythe qui fonctionne d’autant plus facilement qu’il est simple, voire simpliste à comprendre et reproduire. Le mythe ne demande qu’un sentiment d’adhésion pour vivre, avec communion dans le lynchage d’un bouc émissaire pour souder le collectif, sans autre motif de raison que de vouloir appartenir à ce qui est portée aux nues dans la projection, dans ce cas-ci, cette nation là.

Naissance d’une Nation de Samuel Griffith (1915)

L’imaginaire américain, serait-ce “ce processus de domestication, d’apprivoisement de ce qui est sauvage” ? Le cinéma a “sauvagisé” les natifs d’Amérique et les esclaves noirs pendant des décennies dans ses images pour imposer l’image d’une Amérique blanche bien sous tous rapports. Bertold Brecht : Si tu veux détruire quelqu’un, qualifie le d’abord de “sauvage”. Persistance des motifs qui ont “justifié” en Occident, la colonisation, l’apport de LA civilisation. Colonisation des terres hier, colonisation des esprits aujourd’hui. Le cinéma, une captation pour une mise en cage ? A voir. D’abord un faisceau de lumière porté par un voile de poussières, selon un regard blanc. Et beaucoup de noir. “Ô Obscurité, ma lumière” écrit Godart dans son “Histoire(s) du cinéma”. Et si c’était justement dans ses noirs que résidait la force du cinéma et sa capacité de retournement, geste maïeuticien s’il en est ? Retourner les cerveaux pour retourner les situation. Manivelle, caravelle. La force du cinema est avant tout d’offrir la possibilité d’un voyage, aux imaginaires comme aux idées pour traverser le temps et s’inscrire dans les memoires.

Echo de sagesse amérindienne. “Ils nous mis (comme lumière noire) en terre, ils ignoraient que nous étions graines”. Retournement de situation. Les Etats-Unis perdent la mise aujourd’hui avec la montée de la Chine épaulée par des BRICS sur le plan international, et sont traversés par une profonde remise en question de leur modèle et crise de leurs croyances. Le déclin précoce pointe son nez; Et pas que sur le plan économique. L’Asie envahit à son tour les écrans avec ses superproductions calquées sur le modele hollywoodien qui mettent en scène sa culture, ses valeurs et son histoire. Paradoxalement, jamais les souffrances et chants transfigurés des natifs et esclaves d’Amérique, longtemps honnis dans les films, n’ont autant fait retentir leurs cris et leur silence par les voies mêmes que les USA ont prise pour marquer les esprits à travers le monde, des yourtes de Mongolie à la France. Esprit de lutte contre les injustices, valorisation de l’individu et sa détermination, esprit de résistance, retour à la terre, communion avec tous les êtres et tous les mondes (Avatar), renversements de pouvoirs injustes… se retrouvent désormais dans des films de tous les continents et inspirent jusqu’à des artistes et réalisations chinoises. C’est peu dire que les zArts sont libres et finissent par échapper à leurs maîtres. Ne sont-ce pas les seuls témoignages qui restent d’une civilisation après leur extinction et table rase ? Dicton à retenir en guise de leçon : “Dans la savane, si les lions sont rois, les zèbres font signe”.

En cinéma, le film projeté est réfléchie sur écran, à raison de 24 images ET 24 NOIRS par seconde. Mécanique de la caméra comme du projecteur qui actionnent un obturateur. L’œil reçoit un rebond qui fait IMAGE dans le temps et qui comprend moitié de noir noir. Une abscence totale d’images (mais pas de son) pendant une moitiéde seconde. Une part de non-vu qui porte tous les possibles et qui laisse au spectateur la possibilité de vivre sa part dans l’Invisible. Et signe pour le créateur la possibilité intrinsèque qu’offre cet art de contourner les digues. Martin Scorsese, réalisateur américain de la côte Est en butte avec Hollywood, connu pour le caractère subversif de son cinéma, compare le cinéaste à un contrebandier et dit que tout l’Art de cet art, est justement de faire passer sa cargaison en douce. Une des raisons pour lesquelles le monde de la mafia et des brigands occupe une si large place dans les histoires portées à l’écran ? Ce ne sont pas les succès du Parrain de Coppola ou Casino du dit Scorsese, et ceux de tous les films actuels qui mettent en scène des barons de la drogue ou des espions qui me contrediront. Mais pour faire passer quoi ? Beaucoup de héros de cinéma sont des petits malfrats dont la petite histoire contient la Grande. Image d’une humanité libre réduite à agir dans le monde en loucedé pour le changer, ou simplement survivre ? “Ô Obscurité, ma lumière” disait Godard. Pour sûr il ne parlait pas que du noir des images. Le personnage de voyou emblématique de son film A BOUT DE SOUFFLE joué par Belmondo, qui sacra la Nouvelle Vague et changea la face du film, finira à terre dans la rue sur ces mots : “C’est dégueulasse !”. Et la jeune vendeuse du New York Times qui pris son dernier souffle dans la dernière prise, de dire “Qu’est ce que c’est, DEGUEULASSE ?”. Des gueules lasses ? Ainsi finit le cinéma chez Godard, de guerre lasse après avoir tenté pendant plus d’une décennie de changer le monde avec son cinéma. Pour rappeler en cinéma, au Cinéma, que la vie de l’homme de la rue il a oublié et qu’il doit, pour finir, y retourner s’il veut retrouver sa force ? Les toutes premières images tournées ne furent-elles pas la Sortie des ouvriers de l’usine des frères Lumière depuis le trottoir d’en face, avec l’entrée d’une locomotive fumante plein cadre sur les quais de La Ciotat ? Retour en gare. Le cinéma est un enfant de la révolution industrielle. Né avec elle, il a muté avec elle.

La télévision a pris d’assaut la rue et pris le relais dans la formation des imaginaires et la conduite des esprits. Foules naguère en marche. Aujourd’hui clouées sur place, plombées par des mires en barres. Miradors. La télévision encadre aussi surement qu’elle encage comme nous le verrons dans un prochain article sur son évolution. À l’inverse du poste (de police?) que l’on regarde enwagonné dans son chez soi, le cinéma appelait un bain dans un lieu collectif pour faire fusion. Opéra en mode majeur. Danse vibratoire des chairs devant l’oscillation de la lumière. Communion dans le noir. Hier dans les salles, aujourd’hui sous la voute, le cinéma a pris la tangeante pour survivre. Il a comme découvert le calcul intégral pour sortir du compte à deux balles et étendre sa surface. Il est devenu SPATIAL et tend à se faire de plus en plus expérience pour concurrencer l’essor des jeux vidéos et du virtuel qui le talonnent dans son domaine d’expérience. De lion rugissant, une partie de lui a muté en Pégase. Le cinéma de production culmine aujourd’hui avec des projections sous dôme géant en relief et des gros succès au box office qui prennent régulièrement l’Univers interstellaire pour décor et des vaisseaux sans roues pour voyage : 2001 Odyssey de l’Espace, Star Wars, Interstellar, Avatar,… Il a troqué la manivelle pour l’électricité. Il s’est fondu dans la lumière pour rejoindre ses origines, engendrant de drôles de créatures au passage, à commencer par ce monstre froid, le calculateur HAL de la station orbitale de 2001 Odyssey de l’espace. Quant au cinéma de création et le cinéma dit “indépendant”, économes car modestes en moyens, ils continuent leur route en investissant des Festivals comme le fameux Sundance, ou dans les lieux alternatifs, en se diffusant plein air la nuit dans des champs. Le Cinéma, peut être parce qu’il se forge intérieurement dans le noir qu’il contient qui n’est pas sans évoquer la nuit, a rejoint par des sentes libres et des fibres le chemin des étoiles.

Qui dit nuit, dit aussi rêve n’est ce pas ? Le cinéma né en même temps que la psychanalyse n’est pas sans entretenir des liens profonds et étroit avec la découverte de la psyché humaine et de ses manifestations nocturnes. De rêve à Idéal il n’y a qu’un pas que nombre de réalisateurs ont fait en mettant leur art au service ou l’illustration d’une idée, d’un rêve (Kurosawa, Fellini, Spielberg) ou DU rêve tout court. Divertir ou instruire ? Amuser ou informer ? Réveiller ou endormir ? Lutter ou collaborer ? Résister toujours ! Le cinéma n’a pas échappé à ses questionnements et turbulences. On se souvient de l’époque Maccarthiste aux États-Unis dans les années 50, au cours de laquelle même des réalisateurs comme Charlie Chaplin, créateur-auteur-réalisateur de CHARLOT, pauvre ère épris d’amour éperdu acquis à la solidarité et au partage, ont été écartés de la possibilité de réaliser des films et étroitement surveillés par le gouvernement pour avoir été soupçonnés de connivences et complicité avec le Communisme, alors ennemi de l’Amérique capitaliste-ultra, en temps de guerre froide. Le Cinéma a servi d’instrument de manipulation comme vecteur de libération. Si de majeur il est devenu mineur en nos temps où télévision et Internet ont pris la place de choix, s’il se complait aujourd’hui massivement dans la fange avec des productions à grand spectacle vides et bruyantes, il n’en a pas moins produit des œuvres qui se sont hissées au rang d’ART et continuent de faire jonction avec la Beauté, spirituelle et libre, notamment dans les marges. Ce que Télévision et Internet peinent à produire, étant par définition des GROS MÉDIAS DE MASSE, sis entre de puissantes mains de surcroit en prise directe avec les Pouvoirs dont les intérêts et aspirations sont toutes sauf artistiques et libératrices.

Qui dit peine ne dit pas impossible cependant comme nous le verrons. La télévision a son modèle propre et comme le Cinéma, ses failles et tangentes qui lui offrent de s’ouvrir et d’ouvrir à une autre Dimension. Nous mettrons l’accent sur les raisons et motivations que ce média a eu de devenir un puissant instrument de manipulation au service de grandes corporations, en scrutant sa matière comme nous l’avons fait pour le Cinéma, pour saisir et sentir le poids qu’elle a eu et qu’elle a toujours sur les populations, et en discerner les voies spécifiques d’évasion. Les tentatives ne manquent pas. Elles éclosent aujourd’hui avec plus ou moins de bonheur pour échapper à la fatalité inscrite dans sa genèse qui porte ce dicton : “Faim de télévision, fin de civilisation”. Du Cinéma, dont on a vu qu’il avait muté en Pégase, l’on retiendra pour l’heure celui-ci jailli au cœur de cette réflexion : “Si dans la savane les lions sont rois, les zèbres font signe”.

Vous avez dit “zèbres” ? Merci d’accueillir sur ces pages HS et Hippyé , deux zébrés de la face qui reviendront régulièrement pointer leurs mines pour sabrer mes phrases. Ne dit-on pas qu’un bon dessin vaut mieux qu’un long discours ? Alors Bijour, Bijoux ¤ !

HS et Hippyé (c) Dens 2024

¤ Bijour Bijoux ! Formule de salut d’un autre fanfaron sur le grill de ces pages, le personnage de Keudal, créé et incarné pour accompagner le personnage de Madal, EN LIVE ! A découvrir par ICI. Ouvrez grandes les mirettes et les esgourdes, ça fouette en fête dans les étoiles !

(Extrait Journal du 26 novembre 2006, remanié et augmenté pour l’occasion)

One thought on “Débuts du cinéma-spectacle, matrice des médias de masse ?

  1. Commentaire très savant sur les pouvoirs respectifs qu’ont le cinéma et la télévision sur notre esprit et la place qu’elle prennent dans l’évolution des sociétés et le remède que serait l’Art pour nous immuniser contre le viol et la manipulation de nos esprits. C’est brillant mais peut être gagnerait-il à être un peu plus concis?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *