Hier dans les couloirs du métro parisien. Sa puanteur rance et ses néons froids me remontent à la gorge comme deux mains meurtrières. Je jette un regard aux voyageurs alentours. Aucun ne répond à ma sourde angoisse. Je ne vois que des ombres qui scandent leurs pas. Enrôlé dans ce flux mécanique, je me dirige vers les tourniquets comme un pantin pressé d’en finir avec son trajet. CLAC-CLAC-CLAC. Je passe l’étroit chenal, écluse qui compte la masse avant la rame. Et puis soudain, une envie folle de courir ; un besoin irrépressible de fendre l’air, de rire et d’hurler à tue tête m’étreint. J’ai retenu mes hurlements joyeux par crainte d’attirer sur moi les regards mais je me suis mis à courir brusquement comme un enfant, comme ivre. J’ai embrassé le large et long couloir de mes folles enjambées, bondissant d’obstacles en obstacles jusqu’à ce que j’arrive sur le quai, essoufflé. Là, la suée m’inonda et sa moite tiédeur acheva de refroidir mon ardeur.
Pendant un instant je me suis cru ailleurs. Quand je rouvre les yeux, je retrouve autours de moi les mêmes visages fermés, interrogateurs. Sombres silhouettes statiques que tout mouvement libre fait trembler. « Triste monde sans joie ni lumière » me dis-je. Quand je réalise que je me suis planté machinalement sur le quai et que j’arbore les mêmes vêtements sombres, je m’interroge. Qu’est ce qui nous fait nous fondre avec un tel empressement « naturel » dans ce moule morne et inerte ? Le péché me répondent à l’unisson mes restes de conscience. Le péché, cette tare que les religions ont inventé pour nous culpabiliser ? rétorque immédiatement mon esprit moqueur. Oui, le péché, réplique froidement mon âme. Le péché, que les religions ont savamment utilisé pour nous dominer, en nous cachant sciemment que l’on pouvait s’en libérer. « S’en libérer ? » reprend mon esprit railleur, « en achetant des passeports pour l’éternité ? » ou en « se confessant au curé » ? Non, répond mon âme, si confession ou dogme libérait du péché, il y a bien longtemps que le monde aurait changé. Pour venir à bout du péché, pas d’autre solution que de lutter en soi pour se recréer (bon, patient, aimant,…).
Contrairement à ce qu’à enseigné la religion pendant des siècles, le péché n’est pas «faute morale que l’on doit expier». La confession comme l’expiation est une invention de curés pour assujettir les esprits faibles. Le péché, le mal en fait, est « nature » en nous que nous devons (et pouvons) changer. Sa réalité est “physique” autant que métaphysique. Il découle du choix que firent des hommes jadis de dominer leurs semblables. Une situation qui s’est perpétuée jusqu’à nos jours et qui imprègnent nos chairs. Le péché plombe le sang qui coule dans nos veines, il voile nos regards, il étouffe l’amour dans nos cœurs, il brise nos élans de bonté, il fourche notre langue et attise nos rancœurs, entretient en nous mensonge et brutalité. Quel homme peut se dire pur de tout mal ? C’est pourquoi Jésus recommandait de ne pas juger jusqu’à intervenir publiquement pour faire cesser la lapidation d’une adultère.
Changer ou lutter contre le mal en soi, est affaire de toute une vie. C’est se défaire peu à peu des réflexes et pensées de domination et de méchanceté que le monde nous a légué. C’est se libérer d’un poids qui nous rend malheureux, triste et tourmenté. C’est raviver en nous, le feu joyeux de l’Amour et de la liberté. C’est difficile mais ça prend l’homme, parfois, comme une irrépressible envie de courir libre.