Cela fait presque un mois maintenant que les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Casher ont eu lieu. Impressionnant la vitesse à laquelle le soufflet médiatique est retombé ! La guerre en Ukraine, l’affaire du Carlton et d’autres gros titres ont délogé “l’esprit du 11 janvier” et la côte de notre Président retombe à nouveau en flèche après avoir connu une embellie passagère. Les ressorts de la presse hélas, restent les mêmes et les média continuent de nous gaver de mort, de peur et de joies factices.
Je travaillais dans une chaîne de télé quand eurent lieu les attentats de Charlie Hebdo. Les deux premiers jours ont été marqué par l’hébétude. Il régnait dans les locaux de la chaîne une sorte de silence irréel et puis petit à petit l’excitation a pris le dessus jusqu’à envahir toutes les émissions. Chacune voulait sa spéciale sur “Charlie” et a mis les bouchées doubles pour couvrir l’événement et ses suites. En tant que graphiste, cela voulait dire pour moi, deux fois plus de photos, d’images, de textes, de banc-titres et d’animations à traiter et réaliser.
Beaucoup de choses ont été dites à l’occasion de ces événements sur la collusion des pouvoirs et des médias et sur la récupération politique qui s’en est ensuivie. Ce n’est pas le propos que je souhaite développer ici. Je tiens en revanche à souligner à quel point cette campagne “Je Suis Charlie” a été construite et montée de toute pièce par les médias.
Le logo “Je suis Charlie” a été réalisé par le directeur artistique d’un journal distribué gratuitement dans le métro parisien. L’homme dit n’avoir pas su trouver d’autres mots pour exprimer son émotion. Publié un peu plus d’une heure après les événements sur son compte twitter, ce logo a été repéré par une journaliste très en vue qui l’a fait suivre. Dès l’après-midi il s’est imposé dans toutes les salles de rédaction. En fin d’après-midi et tous les jours qui ont suivi, toutes les occasions étaient bonnes pour placer ce logo et alimenter la fièvre collective.
De retour à mon atelier trois jours plus tard, après un gavage immodéré d’images et de textes médiatiques, j’ai éprouvé le besoin de me laver de tout ce qui m’avait traversé les jours précédents et de ce à quoi j’avais participé, J’ai commencé par réaliser une affiche avec le mot PENITENCE, écrit en gros au milieu.
[Note à l’attention de ceux qui connaissent pas La Révélation d’Arès : la pénitence est l’action que l’on entreprend pour laver son cœur et changer sa vie. Les préceptes mentionnés sur l’affiche, aimer son prochain (évangéliquement), pardonner les offenses, répandre la paix, se libérer de ses peurs et de ses préjugés, restaurer son intelligence du cœur sont des repères. Elle est individuelle et peut prendre chez certains des voies singulières. Elle émane d’un véritable combat intérieur, qui peut se faire rude et tourmenté, mais elle peut aussi se faire joie et fête. Poussée très loin, elle permet à l’homme de recouvrer l’image (Genèse 1/26-27) du Bien déposée en lui. Partagée par un petit reste d’hommes déterminés, elle peut vaincre le mal dans le monde et restaurer le bonheur sur terre]
L’emploi d’un graphisme sobre, épuré, plus suggestif qu’illustratif, qui imprime la pensée autant que la rétine a été plus qu’une découverte, un déclencheur. J’ai accouché avec cette affiche d’un “style” que je cherchais depuis longtemps pour lier la Parole et mes images et d’un concept, celui d’IMAGE-SIGNE.
J’aurais pu en rester là. Mais j’étais pris dans une sorte d’urgence. Alors que Amédy Coulibaly défrayait la chronique avec sa prise otage à l’Hyper Casher porte de Vincennes (ma fille était alors dans une école à quelques 200 mètres de là), j’ai réalisé un petit carton “Je suis pénitent” (Révélation d’Arès 30/11), en réponse à tous ceux qui me sommaient de me prononcer pour ou contre Charlie, et je l’ai posté sur mon compte Facebook.
J’ai continué de créer ainsi avec une sorte de frénésie tout le mois de janvier, les jours où je ne travaillais pas en télé, mû par une nécessité impérieuse d’opposer à ce bruit médiatique qui me traversait, le Chant de La Parole. Une grande affiche et un petit film pour le local de la mission parisienne des Pèlerin d’Arès,
Je crois intéressant de noter que ces travaux n’ont pas jailli d’un esprit déconnecté des réalités tranquillement installé dans le confort de ses certitudes. Ces images sont nées sur une ligne de front, ont jailli d’une nécessité, d’un combat. Front de La Parole avec le bruit d’homme (xxxii/8), qui depuis l’aube biblique s’affrontent sur fond de guerres, de violence, de vengeance sans fin. J’ai ressenti la nécessité d’occuper l’espace avec les mots : Père de l’Univers (12/4), La Parole qui est (i/4), et qui seule contient la Force de vaincre le mal et de faire taire ce bruit envahissant, spoliant, dénaturant jusqu’à l’absurde.
Aujourd’hui la pression médiatique est retombée, les émissions de télévision pour lesquelles je travaille ont repris leurs cours habituel et je peux méditer avec plus de tranquillité sur ce qui s’est passé.
Je me dis que la France a montré avec ces événements, un bien triste visage en réalité, loin de l’image d’union sacrée et de “défense des valeurs la civilisation” qu’ont construite les médias. Faire de Charlie Hebdo, journal satirique vachard et outrancier, le parangon de la liberté d’expression avait déjà de quoi interroger. Mais imposer “Je suis Charlie” à toute la Nation comme une sorte d’hymne visuel auquel tout est un chacun a été sommé d’adhérer, et ce au nom de cette même liberté d’expression, confinait à l’absurde.
Quand la vague de représailles juridiques a été déclenchée contre ceux qui, pris au piège de ce simplisme ravageur, ont déclaré leur “sympathie”, réelle ou non, avec les terroristes (je crois plus en réalité par provocation et irrévérence envers cette adhésion imposée à “Je suis Charlie”), la tragédie a basculé dans le grotesque. C’est ainsi que l’on a vu un enfant de 8 ans être conduit en garde à vue et passer une nuit au poste de police, des alcooliques éméchés condamnés à de la prison ferme, des élèves renvoyés sans sommation de leur école, collège ou lycée… pour avoir simplement tenu des propos considérés comme “apologie du terrorisme” !
Mais le plus inquiétant c’est peut être le spectre totalitaire qui s’est glissé dans les déclarations publiques et les décisions gouvernementales qui ont suivies, au rang desquelles il faut noter certaines restrictions de nos libertés publiques et qui témoignent d’une volonté toujours forte du pouvoir d’utiliser la peur comme arme pour renforcer sa domination sur le peuple.
Jean Bauberot a dit : “La France est passée de la Monarchie absolue à la République absolue”, en parlant de la manière obtuse qu’ont certains hommes politiques d’envisager la laïcité. Les récents événements nous ont permis de vérifier que le germe de l’absolutisme était encore bel et bien vivace en France. Ce même germe qui a produit naguère la Saint-Barthelemy quand la France était encore “fille aînée de l’Église”, ce germe qui élevé la guillotine et un chant barbare au rang d’emblèmes nationaux lors de la Révolution, a resurgit aujourd’hui.
Il y a néanmoins quelques points positifs à relever et tirer de ces évènements.
Le premier. Je pense qu’il y avait dans la rue ce dimanche 11 janvier et les jours qui ont précédé (je ne suis pas allé manifester moi-même) des hommes et des femmes sincèrement épris de dépassement et d’universalité, et qui ont cru que quelque chose pouvait se jouer dans cet élan de solidarité généreuse, très vite récupéré par les pouvoirs de toutes sortes hélas. C’est cet élan qui m’intéresse ici et me fait dire que la France a encore un vivier de forces cachées qu’elle pourra faire jaillir le moment venu.
A SUIVRE….