Miroslav Tichy est photographe. Son obsession : la figure féminine, mais ce n’est pas ce qui m’a poussé à écrire cette page. Ce sont sa démarche, ses outils et ce qui se dégage de ses photos.
Miroslav travaille avec des appareils qu’il a lui même confectionnés à partir de matériaux de rebuts : vieilles canettes et boites de conserve, tubes en fer, bouts de cartons, bobines de fil, optiques usagés… le tout assemblés avec des lambeaux de tissus, des élastiques rongés et des bouts de fer tordus. Et ça marche ! Les images qu’il obtient tiennent en quelque sorte du miracle. C’est ce qui surprend au premier regard : le fait même qu’elles existent et qu’elles nous soient parvenues.
Flous, surexposés, tachés, griffés, crayonnés, déchirés, collés sur de vieux bouts de papier, ses tirages donnent l’impression d’avoir été trouvés au fond d’une poubelle ou récupérés par terre, et c’est le cas. Miroslav Tichy traite ses photos avec désinvolture. Son atelier (qui est aussi sa maison) ressemble à s’y méprendre à un taudis de vieil ermite où tout s’accumule pêle-mêle sans ordre. Il développe ses pellicules dans un sceau, laisse ses clichés trainer par terre, s’en sert pour caler une table bancale, avant de les retoucher d’un coup de crayon pour rehausser ici une forme, là un contours imprécis.
C’est la force de sa démarche : son absence de soucis “esthétique” n’empêchent pas une certaine beauté d’imprégner ses clichés et d’irradier. Je me demande même jusqu’où cette beauté ne nait pas de tous ces “défauts” cumulés et du refus délibéré de “faire art”. Le regard, d’abord, gêné par les scories qui habitent l’image, finit par se concentrer sur les gouttes et les éclats de lumière. Peu à peu se dessine une forme ondoyante et chaleureuse qui vient caresser les pensées. Chacune de ses photos nait ainsi, lentement et se met à vivre comme une apparition. Fugace, fragile.
En le voyant parler avec malice dans la vidéo qui le présentait cependant, je me suis dit que le vieux bougre n’était pas aussi candide et ignorant des choses de l’art qu’il en avait l’air. Sa biographie précise qu’il a étudié la peinture à l’Académie des Beaux-Arts de Prague (il a grandi dans l’ex-Tchécoslovaquie au temps du communisme) et il a construit sciemment sa démarche. Sa posture est peut-être celle d’un esprit revêche qui a voulu se démarquer de l’art officiel de son temps pour mieux se donner une chance d’être reconnu un jour, elle n’en est pas moins authentique.
Miroslav Tichy se déclare lui même “prophète du délabrement et (un) pionnier du chaos”. Que son œuvre suscite aujourd’hui l’intérêt, témoigne à mon sens d’un certain retour du “sensible” dans l’art et accompagne ce vaste mouvement de remise en cause des systèmes et de leur mécanique idéologique. Surtout, dans notre monde envahit par le soucis de la norme et de la perfection technologique, le travail de Miroslav Tichy nous rappelle que l’on peut créer avec peu et que la beauté d’une œuvre échappe à notre entendement.