Mort de Willy Ronis : l'innocence du regard en deuil

Mort de Willy Ronis : l'innocence du regard en deuil

Willy Ronis est mort ? Mais il l’est depuis longtemps !

Qui porte encore ce regard à la fois tendre et généreux sur le quotidien des hommes ? On a parlé à son propos de “photographe humaniste”. Je préfère dire tout simplement qu’il aimait les êtres qu’il photographiait. On ressent une véritable empathie dans ses photos mais la générosité n’est pas seulement du coté  du photographe, elle irradie aussi de ses personnages. L’enfant qui court et qui sourit à la caméra, la femme qui se dévetit,  l’homme qui travaille… Qui s’offre encore ainsi au regard d’un photographe “anonyme”  ?

C’est quasiment impossible de faire aujourd’hui des clichés à la Willy Ronis, Edouard Boubat ou Robert Doisneau (autres tenants de la “photographie humaniste”). Notre époque a perdu toute innocence face au regard d’autrui. L’ère est au soupçon, à la défiance ou à la provocation, quand ce n’est pas au “m’as-tu-vu”. Sortez un appareil photo en public et les hommes vous fusille du regard, ils se cachent le visage, tendent la main pour dire “pognon, pognon” ou “droit à l’image”. Les photographes de talents (et de métier) qui exercent aujourd’hui ont pris le chemin des studio ou de l’imaginaire. Ils recomposent leurs images sur ordinateur, travaillent sur l’autofiction ou à partir d’un concept et d’une mise en scène.  Quand ils filment le monde, ils photographient ses déserts et la solitude des êtres. Il n’y a guère que l’art du portrait et les photographes de l’intime, qui perpétuent encore aujourd’hui un certain “humanisme” dans la photographie. Un travail qui demande d’approcher l’autre, de le mettre en confiance et d’établir une relation avec lui. De ce point de vue, Nan Golding peut être regardée comme une photographe de la veine d’un Willy Ronis , humainement parlant. Elle aussi, aime profondément les êtres qu’elle photographie. Même si dans l’oeuvre de Willy Ronis, transparaissait également quelque chose qui a bien du mal à se faire entendre aujourd’hui : l’espérance en l’homme.

Reste que, photographier le monde pour  témoigner de ce qu’il est, est important. C’est l’un des principaux moyens -à notre époque d’image et de communication- de se regarder avec un peu de recul. La télévision, telle qu’elle est conçue et faite aujourd’hui, c’est d’abord du son :  du commentaire creux, de la langue de bois ou du blabla vulgaire et aguichant. Le cinéma, ce sont des histoires. Reste les journeaux et les livres. Mais qui lit vraiment aujourd’hui ? La photo de reportage est l’un des rares modes d’investigation véritablement en prise avec le monde (avec un certain documentaire de création) qui peut l’aider (et nous aider) à prendre conscience  de lui- (de nous-)même.

Voila pourquoi je defends ardemment la possibilité pour les hommes d’image (dont je fais partie), de  pouvoir prendre des photos dans l’espace public sans être assailli par milles scrupules et revendications concernant “le droit à l’image”. A condition bien sûr, qu’il y ait un oeil derrière la caméra et un doigt sur le bouton poussoir. Seules conditions pour que la prise d’image ait une chance d’être mue par le respect voire l’amour du prochain, et serve un propos, une pensée.

Nous sommes tous liés les uns les autres. Il n’y a pas d’image que l’on prenne, qui ne soit pas deja en nous, ou qui ne s’imprime pas, d’une manière ou d’une autre, en nous-même. “L‘oeil est la lumière du corps. Si donc la lumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténébres !”  disait Jésus, il y a 2000 ans. Une manière de dire que l’on est responsable du regard que l’on porte sur le monde, et que celui-ci nous construit et  participe au même titre que tous nos actes, au cours des choses.

Photographier, c’est s’imprégner de la lumière d’autrui mais c’est aussi restituer au monde, sa propre lumière.

metro2009ed

Paris, réseau métropolitain. 2009

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