La photo est un art très exigeant, probablement l’un des plus difficiles. Contrairement au peintre qui part d’une toile blanche pour imprimer sur la toile ses vision et ressenti, le photographe prend la lumière du monde ; il forge une image à partir d’un existant qu’il s’approprie.
Ce qui différencie le photographe, celui qui “écrit en lumière”, du simple “preneur” de vue, c’est outre l’intention qu’il met dans la prise, le travail pour saisir et imprimer l’image de son regard. Faire sien ce que produit l’œil mécanique de la caméra, en jouant du cadre, du contraste, de la composition, des couleurs,… C’est tout l’art du photographe que de faire d’une “prise de vue” un cliché, autrement dit de “Faire Image”!
Il y a quelque chose du “vol” dans l’acte de photographier, un “vol de lumière” pour ainsi dire qui n’est pas sans évoquer le mythe de Prométhée, voleur du feu des Dieux dans la mythologie grecque, pour le donner aux hommes. Prendre une photo peut être vu comme prendre la flamme d’un être pour l’offrir aux regards des autres comme une chaleur et une lumière manquante. La photographie des stars et des people à destination des hommes du commun illustre magistralement cette thèse. Un “vol” de feu popularisé et répété aujourd’hui continuement par la généralisation des téléphones portables et de leur usage, au point que l’on peut se demander si les milliards de photos et vidéos qui sont prises chaque jour ainsi inconsidérément, ne font pas perdre un peu de sa lumière au monde et à l’homme. Les natifs d’Amérique considéraient avec méfiance la photographie, qu’ils soupçonnaient de “voler leur âme”. La lumière prise au piège dans la nasse photographique porterait-elle avec elle, en elle, cette Invisible part de nous-mêmes ?
Matériellement, le bilan de cette captation continue, ce sont bien des milliards de photons aspirés et réduits à quelques lignes informatiques ou quelques grains argentiques soustraits à la lumière. Certes, l’homme reproduit et diffuse partie de ces images en retour, continuellement de surcroit sur ses écrans. Mais que restitue t-il au juste, en quantité comme en qualité, avec sa mécanique froide et sa lumière électrique, de ce qu’il nous prend comme matière sensible, lumineuse et possiblement luminante pour ainsi dire?
On dit parfois d’une photo qu’elle sublime ou transcende son sujet, preuve s’il en est que la photo est capable d’intensifier le réel qu’elle capte et restitue, que cette intensification provienne du sujet, de la captation ou du traitement, et de rejoindre ainsi la Peinture, dont le vrai sujet est l’Invisible. C’est à ce moment là que la Photographie se fait Art. Et peu de photographes y parviennent. Mais de même que la photographie est capable de magnifier le réel, sans quoi il n’y aurait pas d’Art possible, que ce soit par captation ou traitement, le photographique peut tout autant, par mégarde ou ignorance, affaiblir ou “tuer” son sujet par les mêmes voies.
Toute l’ambivalence de l’acte photographique (sa propension à générer plus de mort que de vie), se retrouve dans le termes employés familièrement pour le désigner. Ne dit-on pas “tirer” en anglais pour dire “prendre une photo” ? “TO Shoot”, même verbe pour appuyer sur la détente d’un revolver que pour appuyer sur le déclencheur d’un appareil photo. En français le verbe “tirer” occupe une place toute aussi importante dans le processus photographique ; il est réservé en photographie analogique à l’acte de développement du négatif, à son traitement en laboratoire une fois la photo prise. On notera ici la différence d’approche de cet technique de part et d’autre de l’Atlantique.
Quelques dates occurrentes pour étayer cette parenté, voire gémellité cachée entre appareil photo et armes à feu modernes ? États-Unis 1836, Samuel Colt invente le premier revolver à barillet. France 1839, Daguerre invente le premier engin photographique portatif, le Daguerréotype (Niepce a découvert en 1824 le principe d’impression sur grain d’argent). On ne s’étonnera donc pas que les images photographiques et filmiques aient été si promptes et si aisées à représenter les armes à feu automatiques et leur usage, et ce jusqu’à la fascination et l’envahissement sur les écrans. On notera aussi que nombre de grands photographes et cinéastes ont gagné leurs galons en arpentant l’Ouest Américain, lieu emblématique de duels et d’affrontement par les armes s’il en est. “Duel”, n’est-il pas le titre du film qui fit connaitre Steven Spielberg, cinéaste passé maître incontesté en ce domaine ?
En français comme en anglais, l’acte de photographier se retrouve donc assimilé à un tir meurtrier ou une mise en bière avant résurrection par le développement de l’image et sa diffusion. C’est peu dire que la mort en la photo fait son ouvrage. Elle fait même du preneur d’image plus qu’un “voleur” de lumière, puisqu’elle le met en situation d’être littéralement un prédateur voire un tueur potentiel, qu’exprime très bien l’expression “chasseur d’images” (expression courante en photographie qui trouve son correspondant dans le maniement des armes, dans le lexique “chasseur de primes”). Alors que dire d’une séance de portrait, si ce n’est que ce face à face avoisine furieusement en nature avec un Duel ?
Du reste, hors de toute considération sur le processus de formation et la nature d’une image photographique, la caméra comme l’appareil photo est aujourd’hui communément considérée comme une “arme” à part entière eu égard le rôle que l’image joue dans les médias en tant que vecteur d’information, d’opinion et d’émotion. “La caméra est une arme” fut d’ailleurs le slogan d’une unité de réalisateurs révolutionnaires, le groupe Medvedkine, pendant les évènements de mai 68. Pour certains, la caméra est même devenue LE pouvoir, à cause de sa capacité à faire et/ou défaire un roi. Quant aux médias, on sait le rôle qu’ils jouent aujourd’hui dans l’édifice social et l’importance que revêtent l’Audience comme l’Audimat, à l’échelle nationale comme internationale.
Bref, tout cela pour rappeler CE que l’on regarde vraiment, quand on regarde une photographie, et souligner le fait que PRENDRE ou SE FAIRE PRENDRE comme REGARDER une photo n’est pas un geste aussi anodin qu’il y parait. Que, si la photographie participe à ce point aujourd’hui de nos vies et de notre LUMIÈRE, comme de notre Invisible, alors ne devrions-nous pas nous soucier davantage de ce que nous lui donnons comme éclat propre et attention à vivre ? Réflexion à suivre… Nous évoquerons bientôt Richard Avedon et ses portraits de l’Amérique.
Profonde et pertinente réflexion sur l’acte de photographier , de même que les amérindiens les musulmans ne veulent pas qu’on leur “tire” leur portrait ….car effectivement comme l’analyse le remarque avec beaucoup de perspicacité le photographe est un chasseur d’âmes.
PS Cet article mériterait d’être publié dans une revue photographique ou culturelle
Sympa le PS. Merci pour l’invite. Mais primo, pour écrire dans les journaux il faut faire partie de leurs réseaux, et secundo, ce que chasse le médiatique c’est le politique, la bête noire des “zartistis” dont je suis. Un petit café pour commencer la journée ? Serré alors, comme à l’accoutumée 😉 Zieute donc la dernière entrée caféinée…. Z comme Zanzibar, tu connais ?
Un petit café volontiers et de ce pas je vais aller voir Zanzibar