L’artiste, un être à part

L’artiste, un être à part

1992...

– Comment vous dire ? À peine je prends le stylet, je deviens fébrile.
– Bigre ! Serie- vous sourd à ce point ?
– Non, seulement Sardine, Sire.
Passé trente signes, j’peux lancer le Dire
Mais sans musique, pas de danse des lignes.
Des baffles en rythmes, et j’reprends le fil !

(La musique s’est éteinte, je me suis levé de mon siège pour la relancer.)

Retour au clavier. Ce que je voulais dire ?

Présenter une série de propos sur l’Art et l’artiste recueillis en juin 1992 à l’occasion d’un entretien individuel avec Michel Potay, dans ses Lieux à Arès. À l’époque, j’ai la vingtaine fougueuse et je me destine à une vie d’artiste. Le monde est en passe de devenir une jungle hyper-technicisée, hyper-financiarisée et hyper-contrôlé où plus un brin d’herbe ne pourra pousser, et je sens et vois venir la Crise par tous mes pores et toutes mes fibres.

Malgré mon jeune âge, j’ai déjà quelques traversées à mon actif, à pied ou en pensée, qui m’ont conduit à un premier naufrage et une tabula rasa de mon perceptif. Passé en fulgurance de l’athéisme revanchard à la foi en un Absolu innommable, au contact de la poésie et de la peinture, j’aborde désormais la vie avec ma propre Imprimatur.

Le bonhomme que je rencontre pour la première fois en direct cet été-là a la soixantaine, le poil tout blanc, et se présente avec du lourd en soute. 20 ans d’expérience d’une mission et d’un mouvement de foi qui veut changer le monde qu’il a lancé en 1974 après avoir été « visité surnaturellement » par Jésus et le Grand Esprit sous son Tipi. Ils lui ont débouché le Calumet pour y faire passer leur Feu, et livré quelques bouffés d’Oxy-gène pur, à transmettre aux rares poulains qui aspirent encore à courir libre dans les plaines.

J’ai rallié ses rangs un an auparavant et finirai par y donner 30 ans de ma vie, avant de partir en vrille et de reprendre ma route sol-Ær, en “solitaire-solidaire” fidèle en cela depuis mes 20 ans à l’expression camusienne. À cette époque, j’ai la foi d’Icare, nourrie de “l’homme révolté”. Ce que j’ignore encore, c’est que je finirai par croiser le Minotaure dans le Noir au cours d’échauffourées. La foi a ses parages que la Science ignore. Et ses miracles qui vous redonnent Force, Lumière et Espoir. Les voyages forgent la jeunesse dit-on ? Les épreuves où l’on fraye avec la mort forgent l’homme plus sûrement encore, et ses passages forgent l’âme.

32 ans plus tard, plongé dans ma nasse d’archives à tisser un fil d’Ariane en vue d’une sortie, je tombe sur des notes en recoin d’un vieux disque informatique. Cueillies sur le vif, elles dressent de l’artiste un portrait vivant et habité, et présente l’Art comme un vecteur singulier qui peut changer la vie, à tout le moins le regard. Car tout est dans le regard, n’est-ce-pas ?

À l’époque, ces mots retranscrits tels qu’entendus en entretien et l’article « Beauté » que Michel Potay publiera l’année suivante dans un recueil de textes annuel (Le Pèlerin d’Arès 1992), devinrent ma feuille de route. J’ai pu depuis, éprouvé tout ce qu’il y est écrit, au cours d’expériences ou de rencontres fortuites, parfois au prix de moments rudes et de choix difficiles.

La foi n’est pas un monde d’idées pures. Et encore moins un long fleuve tranquille. Et elle ne va sans risques, c’est peu de le dire, créatrice qu’elle est d’une Vie qui se paye chère, liberté humaine oblige dans un monde où l’homme est partout dans les fers. Elle peut même inconsidérément provoquer son anéantissement, par manque ou excès de zèle notamment. Loi du contraste. Pas de lumière sans ombre ou sans possibilité d’ombre, et inversement. Pas d’élévation sans possibilité de chute, et pas de chute sans possibilité de redressement. Où serait le mérite sinon, de s’aventurer dans ces contrées inexplorées, ignorées de la plupart ?

En matière de création spirituelle, l’Art est lié à la Transfiguration et, conséquence pour l’artiste, à une vie lourde de renoncements et de sacrifices. C’est toute la philosophie qui portent ces lignes. Elles suintent d’un Idéal qui se murmure encore dans les têtes vides comme un appel sourd à recréer Eden pour revivre libre. En nos temps où l’art n’est guère plus considéré que comme un faire-valoir, et l’artiste un gus qui fait son numéro de cirque, il n’est pas vain de rappeler que l’artiste peut revêtir un tout autre habit et endosser un tout autre rôle que celui que lui assignent ceux qui le diffusent et le produisent, ou même ceux qui le regardent avec estime.

Parler d’Art peut paraitre prétentieux ou se mettre hors d’atteinte d’un certain public. Ce feuillet offre l’intérêt du langage parler, simple et compréhensible, pour parler de choses difficilement accessibles. J’évoquerai dans un post à venir “Du génie” de Schopenhauer, qui fait curieusement écho dans un tout autre parler à ce qui est écrit ici, notamment dans la comparaison faite entre talent et génie et la nature intuitive de ce dernier. Preuve s’il en est que l’on peut franchir les mondes en restant assis sur le même Mont.

La vérité a plus d’un versant et chacun arpente en même temps qu’il le trace, son propre sentier. La voie de l’artiste est périlleuse, c’est pour cette raison peut-être qu’elle fût et demeure souvent, une quête solitaire ardue. Notre époque, marquée par la prédominance du spectacle, dans les médias comme dans l’artistique, télévision cinéma et musique en première ligne, ont fait de l’artiste un flambeau porté par d’énormes et puissantes réalisations collectives. La figure de l’artiste solitaire du XIXème siècle s’est éteinte, maudite. Place au BIG BIZ ! La solitude demeure pourtant l’apanage des créateurs, car ce qu’ils ont à donner au monde, ils ne peuvent que le trouver et le faire jaillir du fond d’eux-mêmes. Et où ailleurs que dans la solitude comme au désert, peut-on toucher le fond de son être ? C’est du reste, le premier message de l’artiste : rappeler à l’homme que gît en son fond ressources et forces inexplorées, et qu’il a vocation à CRÉER en ce monde, à commencer par sa vie propre dont il peut faire sortir belle œuvre, “se faire une âme” comme qui dirait (voir le film MADAL) et rejoindre la Flotte de ceux qui voguent en Ciel et illuminent la Terre.

« L’artiste est souvent un être à part. L’Histoire le montre. C’est un être essentiellement sensible. Il ne vit pas selon sa raison, ses intérêts comme le font la plupart des gens. Il sent les choses. Il participe de si près à la Création qu’il se transcende. L’artiste participe DE et à la Création. C’est un des rares êtres qui a conscience de cela. Il va vers la Lumière. Mais combien y parviennent ?

C’est un chemin très difficile qui exige beaucoup de renoncements et de sacrifices. C’est peut-être même la voie la plus difficile. En fait, il y a peu de vrais artistes. Face à un monde de chômage et de désarroi, beaucoup s’engagent dans la voie de l’art ; quoi de plus normal et de légitime puisque c’est une voie qui “réussit” ; mais tous ne sont pas artistes.

L’Art procède en quelque sorte de la Vie, du génie. Je ne confonds pas talent et génie. Le talent s’applique à des tâches concrètes, celles des arts graphiques, de l’illustration. Le talent est partagé par beaucoup et avec beaucoup de travail, certains acquièrent un grand métier et parviennent à un résultat remarquable. Mais ce qu’ils font n’est pas de l’Art. Certes, sans métier il n’est pas d’art possible, mais l’Art c’est autre chose.

La maîtrise de l’outil est indispensable en art. Mais le génie est unique ; il ne peut y en avoir qu’un, voire deux sinon quelques uns selon les époques. Le génie, c’est l’irruption de DIEU dans la Vie. Comme Lui, il est imprévisible, inattendu. L’Artiste, le vrai, n’est crée qu’en contraste avec tous les autres créateurs. On a qualifié à tord Picasso de génie et d’artiste. Picasso était un créateur, mais un artiste ? Idem pour Dali. Il maîtrisait toutes les techniques et les arts de son temps mais son œuvre laisse froid. A l’inverse de Van Gogh.

Van était un génie brut. Il peignait d’instinct. Il avait cependant plus de métier que l’on ne le pense. C’était un être meurtri, à vif, qui avait soif d’Amour. Il recherchait ses père et mère Lumière et Couleur. Ses toiles tiennent du surnaturel. Ne trouvant pas la Lumière dans la nature, il allait la puiser au fond de lui-même. Car c’est la Lumière qu’il faut rechercher, n’est ce pas ?

Les toiles de Van Gogh, c’est VAN GOGH ! Mais pour un Van Gogh, combien de barbouilleurs ? C’est parce qu’il y a autant de faux peintres que le Génie est apprécié. Regardez dans la rue : c’est parce que qu’il y a des gens moches que l’on apprécie les gens beaux. D’ailleurs, les gens moches ne se doutent pas du rôle qu’ils jouent.

La Création est un perpétuel balancement de contrastes. Hier le Sahara était une immense plaine, c’est aujourd’hui un désert. L’on s’indigne de la destruction de l’Amazonie ? L’on sait aujourd’hui qu’elle produit autant d’oxygène qu’elle en consomme. La vraie écologie, c’est celle du regard. Car il y a le Regard avant tout.

L’Art est transfiguration et non représentation. Van Gogh, ce qu’il voyait, c’est peut-être ce qu’Adam voyait. Vous avez Adam dans vos gènes, vos chromosomes et il y a probablement un gène de la transfiguration. Au fur et à mesure que l’homme retrouvera sa source édénique, il recouvrera toutes ses facultés et se transfigurera. Imaginez ce que l’homme pourra faire alors. »

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