Début des années 90. Ecole de commerce section Finance. Un de mes professeurs, intervenant extérieur qui venait donner cours dans cet établissement pour “sensibiliser les futurs dirigeants” aux problèmes de notre monde, nous avait dessiné au tableau, trois courbes portant sur l’économie mondiale.
La première courbe représentait la crise de l’industrie et le chômage des classes ouvrières qui s’en était ensuivi. Elle avait eu lieu dans les années 70-80. La seconde annonçait la crise du secteur bancaire qui était dans l’air mais qui n’a vraiment éclaté qu’à la fin des années 90. La troisième, c’était là le fond de son propos, annonçait la crise du secteur financier (qui sous-tend toute l’économie mondiale), crise que nous vivons actuellement.
Deux courbes seulement permettait de prévoir cette crise : la masse d’argent “virtuel” généré par le système bancaire, qui peut prêter légalement jusqu’à 9 fois la somme d’argent déposée dans ses caisses ET là où cet argent était placé pour maximiser sa rentabilité immédiate. Ce qu’il ressortait de ces courbes, et ce qui explique aujourd’hui la gravité de cette crise : c’est que 80% de la masse monétaire en circulation, n’est que “du vent” (i.e ne repose pas sur une richesse “réellement” produite, mais escomptée, à venir) et que cet argent est placé majoritairement à très court terme sur des placements à risque pour maximiser sa rentabilité. Si on ajoute à cela, la particularité du système financier, sur lequel repose l’économie mondiale, qui est un système d’interdépendance où les effets de dominos peuvent être désastreux, on a là une véritable bombe à retardement :“imaginez le périphérique bondé, chacun au volant d’une Ferrari lancée à 220 km/h distant de 3 mètres seulement de la Ferrari de devant. Un freinage brusque et c’est le carambolage général. C’est ça la Finance Mondiale. Un incident et c’est le CRASH TOTAL !” Comme le disait Paul Virilio, la vitesse appelle la surprise de l’accident. Quel monde peut-on sortir d’une telle vitesse et d’un tel courtermisme? “Quand on investit aussi peu sur le long terme avec aussi peu de visibilité, il ne faut rien moins que s’attendre à une grave crise.”
La discussion que j’ai eu ensuite avec lui en aparté me fit tout aussi réfléchir : il était venu dans cette école car il n’avait pas pu être entendu ni de ses chefs et de leurs pairs, ni de ses collègues, ni mêmes des jeunes cadres qui entraient dans les grandes entreprises. Il était venu ici pour parler aux futurs dirigeants et ce qu’il observait l’inquiétait profondément : seulement 2 ou 3 élèves sur une trentaine était réceptifs à ses propos. Ils étaient plusieurs professeurs comme lui à s’inquiéter de l’absence de réflexion et du caractère moutonnier des jeunes générations au point de se demander ce qui avait provoqué cela et les incidences que cela aurait sur l’avenir.
Aujourd’hui, la crise est là et elle va affecter l’ensemble de l’économie mondiale. Certains parmis les plus hauts responsables disent “on a rien vu venir” ! comme pour se dédouaner d’une situation qui s’annonce durablement difficile. Ce à quoi je réponds : “on a rien VOULU voir venir!” car on aurait été bien en peine de mettre un terme à cette situation. Tout le monde, peu ou prou, a profité de ces milliards d’euros, de dollars, de yen,… que l’on a créé fictivement pour les préter à ceux qui voulaient acheter des biens ou investir : qui n’a pas contracté un emprunt ou un crédit pour couvrir un découvert passager, s’acheter une voiture, une maison, un four à micro-ondes ou une super télévision ? Sans parler de l’Etat qui s’est endetté pour payer les salaires des fonctionnaires, les retraites, les dépenses de la sécurité sociale,….
Cette situation a générée de la richesse, mais une richesse qui repose sur du vent. Le vent en question, c’est la croyance en une croissance ininterrompue qui aurait permis à tous de rester endettés ad vitam aeternam. Or un jour il faut bien payer ce que l’on doit. Ce “vent” est tombé parce que certains acteurs majeurs de l’économie ont été rattrapés par les réalités (on leur a demandé de payer alors qu’il n’en avait pas les moyens) entrainant avec eux par répercutions, toute l’économie mondiale. Cela nous retombe aujourd’hui sur le coin du nez, et ça ne va pas aller en s’améliorant. Car la seule façon que l’on a eu de répondre temporairement à la crise a été….de nous endetter davantage et de créer encore plus d’argent virtuel ! S’il était nécessaire dans l’urgence, de trouver une solution pour éviter un krach généralisé, il faudra bien un jour que l’on se rende à l’évidence : cette situation ne peut pas durer.
Derrière la crise économique et financière mondiale qui se profile, se cache une crise plus grave et plus profonde encore, à peine discernable par quelques esprits : la crise de l’homme : une crise de l’intelligence collective, l’intelligence du cœur ou spirituelle, qui a presque disparu de cette terre, et dont l’issue passe par la recouvrance de la conscience collective. Ceux qui parlent de “crise du capitalisme” ou “crise du libéralisme” se trompent de cible. Ce qui nous a conduit à cette crise, c’est avant tout l’individualisme, la cupidité, le mensonge, l’état de guerre permanent entre les hommes transmué aujourd’hui en guerre économique. C’est la nature de l’homme qui est en jeu ici, pas le système, même si du système il nous faudra bien sortir pour retrouver l’essence de notre humanité.
Une humanité tournée vers le Bien, peut se développer tout aussi bien dans un monde capitaliste, communiste, papou ou autre. En revanche, impossible pour une humanité malade de ses démons de la domination et la spoliation de vivre heureuse dans quelque système que ce soit. Si l’on ne fait rien pour changer maintenant, de plus graves conséquences encore sont à craindre. Et l’homme ne pourra pas dire qu’il “n’a rien vu venir”, qu’il n’y est “pour rien”, pas plus qu’il ne pourra se tourner vers l’Etat pour régler la facture. Car que peut un Etat aussi puissant soit-il contre la perte totale d’espérance, le désarroi de l’humanité face au mal, à la maladie, à la mort, bref, à l’absurdité quand celle ci se répand comme une plaie à la toute la vie de la terre ? Plutôt que les cours de la bourse, nous ferions mieux de nous soucier du cours de l’amour.
Une crise à cela de bon, qu’elle révèle les failles et les faiblesses d’un monde, elle fait douter les gens sur leurs certitudes profondes, elle permet à ceux qui ont des réponses (ou à tout le moins, des pistes à proposer, des idées d’action), de s’engouffrer dans la brèche, de prendre des positions, de montrer l’exemple d’un autre monde possible. Saurons nous profiter de cette crise pour rebondir ? Pour s’engager dans la création d’autres rapports sociaux ? De changer radicalement notre manière de penser, de voir le monde et d’agir ? De comprendre le besoin de développer dans nos relations comme dans le monde écoute, bonté, paix, pardon, partage, autant de valeurs que l’on tient pour hautes mais que l’on met systématiquement au rencard quand il s’agit d’établir des relations sociales ? Tout peut être spiritualisé. Même l’économie ou la politique. Même si alors, politique et économie ne ressembleront plus du tout à ce qu’il sont actuellement. Ils serviront l’homme au lieu de l’asservir.