J’ai lu la nouvelle entrée du blog de Michel Potay et je baigne encore dans l’eau profonde de ses pensées. Je remonte lentement à la surface.
Cet article évoque le Noir (Rév d’Arès xviii/1-13, xxviii/12-20) du monde et le Noir de l’homme et montre à quel point les deux sont corrélés. “Mon Noir et le grand Noir du monde, c’est pareil” nous dit-il dans un vibrant appel à revenir vers le Blanc (xLv/25), le Bien, si l’on veut éviter à l’humanité de se perdre et de sombrer définitivement dans les ténèbres sans espoir de retour.
Là ou je réside pour mes vacances, le ciel est gris et chargé d’un orage qui gronde dans le lointain, l’air est poisseux et lourd. Autours de moi tout le monde semble vivre au ralenti. Mon père égrène doucement ses arpèges à la guitare comme un métronome, mon fils de 17 ans plongé dans sa lecture du moment tente de déchiffrer les rudiments de la physique quantique, ma fille est sur YouTube, elle regarde un film drôle. C’est peut-être la seule à échapper à cette curieuse torpeur. Son rire qui clôt le film me sort de ma rêverie et achève de me ramener aux réalités. Au dehors, le vent s’est levé soudainement, la pluie qui menaçait s’approche et tout le monde s’est levé pour ranger ses affaires.
Quel rapport me direz-vous, entre la description de cette scène familiale et Le Noir de l’homme et du monde, le mal en fait, présent en chacun de nous ? Il est d’abord dans le lien qui m’unit à ma famille qui me rappelle chaque jour que je suis lié à toute l’humanité passée, présente et à venir. A chaque pas j’ai conscience d’entrainer avec moi mes proches, et de proche en proche, toute l’humanité. En lisant cette entrée, je suis revenu en pensée sur l’enseignement donné à Paris par le frère Michel entre 1995 et 1997 au cours duquel il nous rappelait inlassablement que nous étions la chair de la chair de toute l’humanité. J’ai revécu ces moments comme si j’y étais ou presque. C’est ma mémoire que j’ai revisitée mais ma mémoire s’est faite chair et le sang qui court dans mes veines bouillonne encore de la joie qu’il a eu à se trouver exposé à cette Lumière. En repensant activement à ces moments de partage intense vécus au milieu des années 90, j’ai comme réactivé cette Lumière dans ma chair et j’ai senti comme des milliers de petits points lumineux me percer la peau. M’est revenu alors cette phrase de Paul Valery “Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme, c’est la peau”, lu dans un recueil de citations ce matin même et qui m’avait paru à la fois vraie et énigmatique. Je la comprends mieux maintenant.
Le Noir creuse l’espace (à commencer par ma propre chair) et en aspire la Lumière et la Vie. A l’inverse, le Bien la fait s’étendre et se déployer (s’étaler devrais-je dire pour reprendre un mot du Livre) comme un Souffle sur les Eaux. Et moi simple mortel, je peux me faire voile (Rév. d’Arès 17/4) pour parcourir l’Univers porté par ce Souffle et rejoindre la flotte céleste (17/4). Cette “profonde empreinte génétique”, l’Image de Dieu dans l’homme, je pourrais presque la sentir au toucher. Elle s’épanouit en nous comme les pétales fragiles d’une fleur portés et nourris par ses racines, tiges et feuilles et ondule dans le Vent secoué par les milliards de bras lumineux du soleil.
La pluie qui menaçait est tombée drue et a passée. Je vois désormais par ma fenêtre, le ciel lentement se dégager. Des filets de lumière déchirent la masse nuageuse et la disperse. Bientôt des éclats de ciel bleu signeront le retour du beau temps, je laisserai mon clavier et j’irai humer dans la garrigue les fortes odeurs de thym et de romarin qui achèveront de me ramener à la terre. Avant de partir, je veux écrire aussi ceci.
Ce Noir qui nous habite tous ne me semble pas nous relier pour autant. Il nous divise et nous coupe les uns des autres. Il libère en nous les forces chaotiques de dislocation et j’ai comme la sensation qu’il alourdit sa propre masse qu’il isole jusqu’à l’empêcher de se mouvoir. Alors je me demande, jusqu’où les hommes poursuivront-ils cette folie qui anéantira jusqu’à leur propre quête de possession et domination matérielles ? Cette génération “sait lire les signes du temps (en étant capable de prédire la venue d’un orage) mais elle ne sait pas lire les signes des Temps” (Matthieu 16-3). Il est temps que dans le cœur des hommes résonne enfin l’Appel que la Vie leur lance des Cieux. Qu’ils l’entendent au moins comme l’écho du tonnerre !