J’étais vendredi soir à Montreuil pour assister à la projection de l’un de mes films sur l’islam, “La Nation du Milieu”. J’étais invité par une association musulmane qui tient un petit local d’information dans le quartier des morillons, un quartier très populaire dans les hauts de la ville. Dans la salle, une trentaine de personnes. Parmi elles, des chrétiens et des musulmans.
C’était la première fois que j’assistais à une projection publique de ce documentaire et j’étais un peu anxieux. Comment allait réagir la salle ? Le film est bâti sur une confrontation de propos entre chrétiens et musulmans et fait clairement ressortir les points de dissension entre les deux religions. Malgré cela, le film fut très bien accueilli. Peut-être parce qu’il fait montre “d’une profonde compréhension envers l’islam” pour reprendre les mots de l’un des participants, et qu’il est “habité par la volonté de dialogue et de comprendre l’autre“. Un film “à contre-courant” (de ce que divulgue habituellement les média) dira un musulman, qui saluera le courage de ma démarche.
Les échanges qui ont suivi m’ont confirmé l’intérêt porté au film et sa vocation à faire pont entre gens de confession différentes. “C’est dommage que vous n’ayez pas interviewé des juifs dans votre film“, m’ont même dit deux femmes en partant. “Comme ça on aurait été tous réunis” m’a t-elle lancé avec un large sourire en joignant ses deux mains. Le désir d’unité et d’entente est profond dans les cœurs me suis-je dit. Ce qui fait que les hommes s’opposent, tient peut-être à la trop grande importance que l’on attache aux formes de vivre et de croire. Mais il y a manifestement en l’homme, une force de dépassement qui n’a pas encore trouvé à s’épanouir et qui git, tapie dans les cœurs. Notre monde moderne, fatigué et perclus par des siècles d’affrontements idéologique et religieux, se laissera t-il gagner par la douceur et la bienveillance ? Ce qui est sûr, c’est qu’une certaine branche de l’islam a compris tout l’intérêt qu’elle avait à se développer en Europe, terre où elle peut échapper à une certaine pesanteur doctrinale et revisiter dans la paix, le sens profond de ses sources.
Loin des clichés habituels véhiculés par les médias, cette soirée m’a à nouveau confirmé que les musulmans forment une communauté très diverse, travaillée en profondeur par d’intenses courants de recherche et d’évolution, parfois même inconscients. Dans notre monde matérialiste qui a de toute part tendance à ignorer voire rejeter le spirituel, certains musulmans peuvent faire montre d’une radicalité excessive, comme pour se protéger ou manifester avec force leurs convictions . Mais au delà de ces comportements radicaux, parfois suicidaires (même socialement), l’islam n’ignore pas les grands courants d’individuation qui traversent notre modernité. Ceux-ci ont des répercussions aussi bien sur le statut et l’image de la femme, que sur la lecture des textes et les pratiques rituelles.
Ce n’est pas dans un petit article de blog que je vais détailler et étayer ces impressions. Quelques exemples seulement pour mettre à mal certains clichés persistants. Tout d’abord, il y a peu de musulmans réellement pratiquants en France. La majorité d’entre eux se disent musulmans comme d’autres se disent catholiques ou protestants. Ils pratiquent un islam de circonstance, fortement marqué par des habitudes culturelles. C’est en grande partie le cas de la jeunesse (pourtant force d’avenir). Ceux qui fantasment sur l’islamisation de la France se trompent complètement. Autre chose : une femme voilée n’est pas nécessairement une femme soumise à un “patriarcat machiste et arriéré” ; elle peut même faire montre d’une grande liberté de propos et d’action au sein même de sa communauté. Je suis convaincu pour ma part, que les femmes représentent une des principales forces d’évolution en islam. Pourquoi donc la France s’en prend t-elle le plus souvent à elles quand il s’agit de stigmatiser l’islam (loi sur le voile en 2004, polémique sur la burqua…) ? La société française gagnerait au contraire à les laisser s’exprimer en toute liberté, pour qu’elles manifestent cette liberté à l’intérieur de leur communauté.
En quittant la salle, je me suis attardé sur les livres (corans, guides pratiques) et autres produits proposés à la vente dans le local. Au milieu des chapelets, parfums, encens, tapis de prière…. je suis tombé sur un texte soufi d’une très grand profondeur, une longue méditation métaphysique, sur l’un des versets coraniques les plus énigmatiques, qui décrit Dieu comme semblable à une “lumière sur lumière“*. Je n’ignore pas que l’Islam est aussi traversé par de forts courants rigoristes et hostiles au monde moderne, qu’il a un énorme travail à faire pour s’ouvrir et renouer avec les hautes valeurs spirituelles qui sont dans le Coran. Mais j’ai ramené dans ma voiture, comme un léger parfum de rose, la conviction intime que ce travail était déjà à l’œuvre dans les cœurs et que ses fruits pourraient bien à terme, nous surprendre.
* Sourate XXIV verset 35 : “Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un (récipient de) cristal et celui-ci ressemble à un astre de grand éclat; son combustible vient d’un arbre béni : un olivier ni oriental ni occidental dont l’huile semble éclairer sans même que le feu la touche. Lumière sur lumière. Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles et Allah est Omniscient.”