Songe d’une nuit d’automne

Echo d’images qui me hantent depuis 25 ans. La restitution brut de fonderie d’un passage de mes carnets datant de 1990.

Dans la nuit du 6 au 7 octobre 1990

Dans une chambre, un lit, une table, une fenêtre et un pan de mur ouvert sur le vide. Des étagères. Ma chambre. Je suis allongé sur le lit plongé dans une profonde rêverie.

Un homme. Un jeune homme qui m’a paru intelligent, ferme et décidé est entré. Si il n’y avait pas eu ce sourire qui me rappelle ceux que le diable emporte, je n’aurais peut être pas douté de lui quand il m’a dit : « je suis Jésus ; donne moi à manger ». Je suis frappé par les mots que cet homme vêtu d’une tunique blanche qui fait allusion à sa nature transfigurée, prononce et je me demande maintenant s’il le sourire qu’il pointe, n’est pas dérision de sa part. Pendant un instant, je le vois avec mes propres traits.

Sur une table, (il s’agit de mon bureau habituel) une tasse. Une coupe rose et blanche ornée comme celle dans laquelle j’ai bu hier un thé. Mais plus grande. Cet homme qui avait mon regard me dit : «  Je suis Jésus et voit ce pain rassis. Je te montrerai avant la fin de ton rêve de quoi je suis capable ». Il pris une tranche de pain et la mange. Je ne me rends pas tout de suite compte que le pain est devenu frais quand il le porte à sa bouche et je guette durant tout le rêve le Signe que annoncé. Le reste de la conversation devient floue et distante. Une mésentente. Moi douteux attendant un signe, une preuve. Lui parlant indifférent à mon trouble. Je refusais de l’écouter n’entendant que le coin de ses lèvres.

Il vient me dire de cesser ma vie égoïste, de me tourner vers les autres et de les appeler à faire de même et m’en montre la voie : je me lève, quitte mon lieu de délice, alors même que le mur d’étagères qui ceint le lit sur la gauche, s’ouvre sur un autre espace dans lequel je m’engage. Et puis le mur. Ce pan brisé, absent donnant sur le vide. A ce stade j’ignore si ce vide est ce que je vois ou ce que je ressens. Car ma mémoire me suggère davantage comme un couloir, un passage. La maison semble se prolonger, et je découvre une immense pièce bordée d’une longue baie vitrée, qui m’évoque la salle de réunion d’un conseil d’administration.

Une assemblée siège, ou plutôt, un petit groupe de jeunes gens est réuni pèle mêle au bout d’une longue table oblongue (ou rectangulaire). Je me suis levé du lit pour me diriger vers eux. Certains sont debout, d’autres assis sur la table. Ils sont décontractés. Tous bavardent. Parmi eux, je reconnais ma sœur peut être, archétype de la classe moyenne, peu soucieuse du monde et de ses affaires. Au fond de la pièce, à l’autre bout de là où je me tiens, une porte par l’entrebâillure de laquelle je devine un petit groupe d’hommes vêtus à la XIXème en haut de forme avec costards pingouins, se réjouissant. Le petit monde du capitalisme financier qui dirige la donne ? La grande pièce est pourvue d’une immense baie vitrée qui surplombe le monde et offre au regard un vaste panorama rouge sang. Paysage vallonné dont on ne distingue aucun détail, à l’exception d’un large fleuve qui sillonne au creux de la vallée qui charrie ses eaux rouges. Le paysage s’étire jusque dans le lointain. A l’horizon monts et ciel se confondent dans la droite lignée de mon regard. C’est le couchant. Le couchant de notre civilisation toute entière qui semble là envahi par les ravages de la guerre.

Debout dans la salle surplombant la scène, je fais face à une une femme regarde à droite. Je me retourne vers la gauche, hésitant, et vois Jésus. Il est resté à sa place. Même s’il me parait loin, son regard pèse sur moi. Je prends un air angoissé comme pour lui dire « dois-je vraiment faire ceci? ». Son impassibilité ne me laisse aucun doute sur ce qu’il attend de moi. Les personnes rassemblées continuent leurs bavardages. Leur indifférence à ma présence et à ce que je voudrais leur dire, me blesse et rend difficile mon avancée vers eux. Ces hommes semblent ignorer que dehors la Terre et le Ciel sont rouges, que le soleil comme suspendu à quelques pas du firmament baigne dans un halot rouge sang et que leur insouciance frivole les empêche de voir le drame qui se déroule au dehors des pieds de la bâtisse où ils se tiennent jusqu’au firmament. La femme devant moi jette un œil par la baie vitrée. Je lui crie : « non pas par là ; Regarde », en lui montrant la droite. « Le ciel est rouge ! ». Ma voix est imposante et pourtant je suis calme. La menace que cette nouvelle porte en elle ne semble évident que pour moi. Les hommes présents ne semblent pas s’en préoccuper. Mais la femme restée devant moi se tourne vers l’horizon et pour la première fois je ne sais si le soleil se lève ou s’il se couche. L’assemblée de jeunes gens toute entière prête désormais attention au dehors. Ils semblent s’interroger sur ce qui s’y passe. Satisfait, Je retourne sur mes pas. A peine de retour dans ma chambre je me réveille.

Fin du rêve. Revenu à la conscience, je prends note de ce songe et des circonstances dans lesquelles il est survenu. Je note : j’aurai nourri mon rêve de cette encre rouge que je travaille depuis quelques jours, de cette vue sur le soir d’un soleil couchant dévoilant une immense coulée de sang. Je repense à ces pas, ces mille et uns pas que j’entends marcher dans les airs sur une cadence binaire et répétée. TAC TAC, TAC TAC. Ces bruits secs de bottes cloutées reviennent sans cesse. Ils ferrent mes rêves, hantent mes jours. J’entends la guerre. Je vois la guerre, je peins la guerre. Alors que tout parait si calme.

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